Avant le Livre dont vous êtes le héros (LDVELH) c’était le chaos, les limbes, on se rassemblait à plusieurs pour jouer bêtement à lancer des dés cubiques et à pousser des pions sur des tables, comme avant, comme toujours. Et puis un beau jour ce petit livre est apparu et tout a changé.
Ce mémorable ouvrage est signé par Jackson (Steve Jackson pas Peter, encore moins Michael…) et Livingstone (non, pas l’explorateur de l’Afrique, suivez un peu quoi !). C’était le milieu des années 80, les rayons jeunesse des librairies sortaient difficilement des formatages un peu vieillots (Bibliothèque verte, Jules Verne) et des trucs franchement scolaire style Que-sais-je sur la culture des champignons de Paris.
Le petit bouquin, format poche, proposait deux choses très attirantes : de l’aventure et surtout de la liberté. Forcément après avoir lu déjà pas mal de bouquins d’aventure (destinés à former la jeunesse), le « jeune » était prêt à plonger. Mais là on ne s’identifiait pas au héros, on devenait le héros ! Enfin pouvoir virer ce crétin sans personnalité et éviter les embûches, les coups du sort, trucider les vils ennemis et revenir avec la princesse, ou l’inverse d’ailleurs.
Défis fantastiques, joli nom pour une série de bouquins. Et puis cette illustration avec un bouclier et une épée médiévale, sacrée promesse, de glorieux combats en vue assurément.
Des mots, des dés, des maudits dés !
Ce fourbe livre demande au lecteur de se munir d’un dé, d’un crayon et d’un peu de papier. Il lui colle sous le nez une double-page intitulée « feuille d’aventure », essentiellement une feuille de personnage. Et voilà, c’est cuit, sans en avoir conscience le lecteur est devenu joueur et plus encore ! Car mine de rien, il s’agit de s’engager sur la voie du jeu de rôle. Nouveauté totale du phénomène apparu aux States quelques années auparavant. En France c’était le désert ludique. La fourbe tactique fonctionne car les LDVELH accrochent notre belle jeunesse sans avoir besoin d’intermédiaire, sans le biais d’un joueur initiateur. Le même format de bouquin est d’ailleurs utilisé pour les livres de scénarios du jeu l’Œil Noir, un véritable jeu de rôle destiné à plusieurs joueurs. Le tout est vendu en librairie, les magasins de jeux n’existaient pas en dehors des magasins de jouets et jeux de société classiques.
Deux dés, un crayon, une feuille pour noter des trucs, la feuille d’aventure bien sûr et Go ! Les livres de la série Défis Fantastiques reposent sur une mécanique très simple. On lance au début les dés (sans tricher !) pour obtenir trois caractéristiques de base. L’habileté qui détermine les performances au combat, l’endurance qui donne un certain nombre de points de vie et enfin la chance qui sert à tout un tas de trucs utiles. Et voilà, c’est tout con, le combat est une succession d’assauts, on ajoute le lancer des dés à l’habileté pour chacun des protagonistes, le plus faible perd deux points d’endurance. Le premier à zéro est mort et se fait dévaliser. Le joueur va donc se balader dans l’aventure et garder la trace des combats. On n’est pas dans un jeu vidéo, les points de vie ne remontent pas automatiquement entre deux fights ! Et si l’on ne trouve pas un moyen de se reposer, de gober une potion ou d’obtenir un soin, on risque bêtement de finir achevé par un petit farfadet, ridicule mais chanceux aux dés.
Allez au paragraphe 245, attention à la marche
L’aventure a beau être un livre, il ne s’agit pas de le lire comme d’habitude, de la première à la dernière page. Il s’agit en fait d’une succession de petits textes, de paragraphes numérotés. La fin d’un paragraphe va donner le numéro d’un autre. Bien souvent il y aura un choix à faire et donc plusieurs possibilités. Le tout fait une arborescence de paragraphes dans lequel le joueur navigue, un peu comme Internet, mais 10 ans avant !
Les règles du jeu sont simples, si le joueur meurt il doit revenir au début, refaire un perso (meilleur bien sûr). On ne rebrousse pas chemin dans la lecture, on assume ses conn… choix avec courage et fierté. Il est plutôt conseillé de faire un plan pour comprendre son cheminement, d’autant plus qu’on se retrouve régulièrement dans des lieux tordus, labyrinthes, cryptes, souterrains, villes fantômes, etc. Évidemment certains petits malins prennent des libertés avec les règles, ils décident que finalement ils ont tué le monstre et non l’inverse, qu’ils n’ont jamais franchi cette porte, jamais marché sur le piège et jamais, non jamais appuyé sur ce bouton. Chacun s’arrange avec sa conscience moi je dis.
Voilà, vous savez tout du fonctionnement d’un LDVELH. Pas bien compliqué quand on y pense. Oui mais personne n’avait fait cela avant. Gros succès de ces petits livres qui s’échangeaient dur à la récré. Le plus subversif étant que la forme livresque cachait fort bien le côté ludique. « Je vais lire un peu »… et trucider des hommes-lézard aussi ! La série Défis Fantastiques était constituée de titres indépendants les uns des autres. Le héros n’avait aucun trait particulier, c’était le lecteur lui-même (son égo ?). Cela permettait de mêler des univers différents, de l’Heroïc Fantasy, du Space Opera, du Post apocalyptique, de l’historique, des vampires, des rats mutants, etc. Et puis des séries sont apparues, la Quête du Graal, Loup Ardent, Astre d’or, Loup Solitaire, etc. Là on avait un vrai héros auquel s’identifier, mais on l’incarnait aussi, un peu comme un personnage pré-tiré. Il était possible de suivre ses aventures, dans l’idée d’une campagne de jeu de rôle.